Texte de Clotilde Scordia, historienne de l’art, sur mon travail

Au mois d’octobre dernier j’ai eu l’opportunité d’être l’un des lauréats de la résidence Bouchor aux jeunes artistes.

Nous avons eu la chance d’avoir pour marraine Clotilde Scordia, historienne de l’art et commissaire d’exposition.

C’est une précieuse occasion pour moi de découvrir à travers son regard un autre point de vue sur ma démarche.

Je vous laisse découvrir son texte :

Nicolas Guillemot est un artiste multidisciplinaire né en Bretagne, qui vit et travaille aujourd’hui à Paris. Photographe et comédien, il dispose de toute une gamme de disciplines pour s’exprimer et faire avec passion ce qu’il aime par-dessus tout, « raconter des histoires ». 

Né en 1990 à une époque charnière entre un monde qui entre dans l’Histoire et le monde contemporain, Nicolas Guillemot joue de cette dichotomie avec dextérité. Issu d’une génération ayant grandi avec la disparition progressive de la VHS remplacée par les DVD et autres formats numériques, l’artiste poursuit cette exploration des techniques pour construire des récits universels et intemporels. Dans la continuité d’une histoire des techniques et de la technologie, Guillemot convoque dans sa pratique artistique aussi bien les procédés anciens traditionnels que ceux d’aujourd’hui.

Lors de la résidence Bouchor à Paris dont il fut l’un des trois lauréats en 2021, l’artiste a installé un atelier au sous-sol de la galerie et y a poursuivi son « roman graphique » imaginé pendant les confinements. Au printemps dernier, Nicolas Guillemot, accompagné d’une amie chercheuse, a effectué pendant trois semaines une pérégrination intime au Jardin de Plantes à Paris pour observer les lieux, s’en imprégner et les photographier. Il écrit un texte à cette occasion qui se veut une méditation guidée, point de départ à cette série que l’artiste a poursuivi dans son « laboratoire transmédia » de la résidence Bouchor. Pendant deux semaines, il a créé les décors de son roman graphique avec les photographies prises au printemps. Une dizaine de maquettes ou dioramas ont été réalisés dans une volonté de restituer cette itinérance champêtre permise grâce au GPS de son téléphone portable jusqu’à ce que la batterie s’épuise et laisse le promeneur face au choix d’une direction aléatoire. L’imprévu qui survient permet alors une liberté totale de découverte et de contemplation, en communion totale avec la nature qui entoure le promeneur.

Avec ses dioramas, l’artiste nous dit avoir été influencé par les jeux vidéo dont il est friand et qui pour lui incarnent une forme de narration novatrice et multiple. N’importe quel récit est possible et re-modelable à l’infini en fonction des choix du joueur. Les perspectives sont rendues possibles grâce à des constructions successives créant cette profondeur de champ, les décors du premier plan servant de repoussoir pour diriger l’œil du regardeur et embrasser ainsi la totalité de la scène. Circonscrite à des dioramas, la narration du roman graphique est féconde grâce au travail de l’artiste qui se substitue ici à un metteur en scène de théâtre. L’on y retrouve les photographies argentiques prises par l’artiste, associées entre elles, formant alors de nouveaux récits, déclinables à l’infini. Nicolas Guillemot photographie ensuite ces maquettes et en extrait des cadrages qu’il tire sur papier kozo (délicat papier issu des fibres d’un mûrier japonais) au procédé cyanotype reconnaissable à ce bleu si particulier.

C’est pendant le premier confinement que l’artiste expérimente le procédé cyanotype. Dans une démarche d’artisan, il s’essaye également, lors d’un stage à Limoges, au tirage à la gomme bichromatée, si apprécié en leur temps par les photographes pictorialistes. Ce type de tirage permet au photographe d’intervenir sur l’image et de jouer avec les différents pigments, comme un peintre qui reprendrait certaines parties de sa toile. Un nouveau récit est alors conté par l’artiste sous la forme de fresques (re)composées, à partir des photographies prises des dioramas, de petits carrés de même dimension mis côte à côte et reliés entre eux par un fil bleu. Un nouveau récit poétique est ainsi proposé au visiteur. La fresque au papier kozo si léger bouge imperceptiblement devant les yeux des regardeurs et rappelle les côtes bretonnes fouettées par les vents, souvenirs de l’enfance de l’artiste. Dans son vœu d’une expérience artistique et sensible totale, Nicolas Guillemot nous fait entrevoir un monde autre où toute notion de temps est abolie.

Ce perpétuel mouvement de la fresque s’inscrit dans la dynamique du récit que nous propose l’artiste : que reste-t-il de nos souvenirs ? De nos errances poétiques et solitaires ? Dans un monde où tout va de plus en plus vite, où la lenteur est bannie, peut-on encore prendre le temps de contempler ce qui nous entoure ? Afin de créer son roman graphique, Nicolas Guillemot renie toute référence au temps, à la vitesse pour au contraire prendre place dans un espace-temps universel. Nicolas Guillemot nous convie à un voyage intérieur.

Clotilde Scordia

Octobre 2021